Les 100 mots de la Shoah

Le parole della Shoah

Un suggerimento per affrontare in modo diverso il tema della Shoah.

“Qui écrit sur l’Allemagne nazie et la Shoah est confronté à de délicats problèmes d’usage du langage. S’il faut éviter d’employer le langage des bourreaux, on n’a souvent d’autre choix que utiliser les mots forgés par les nazis parce qu’ils sont devenus d’usage courant. Mais il ne doit y avoir aucune confusion sur le sens des mots.”[1]

Aborder l’histoire de la Shoah à l’école n’est jamais simple. Le premier problème auquel on est confronté, c’est le manque de temps dans les programmes d’histoire pour arriver à introduire la complexité de cette période. Le deuxième, c’est le choix des supports à adopter en cours afin d’éviter certains obstacles, notamment l’usage du vocabulaire spécifique des expressions de la langue allemande du Troisième Reich afin de s’entendre sur le sens et la valeur des mots.

L’idée de publier une analyse sur les questions de vocabulaire est déjà présente dans les travaux de recherche[2] de Tal Bruttmann.

Il y a dix-ans, Tal Bruttmann a organisé plusieurs séminaires et conférences sur ce sujet, destinés aux professeurs, étudiants, et autres publics. Le livre[3] est très largement le bilan de ces rencontres.

On parle énormément de ce sujet, mais souvent assez mal, avec beaucoup d’imprécision.

Cet ouvrage nous éclaire afin de ne pas persévérer dans ces erreurs. Les auteurs nous montrent à travers les définitions des expressions, comment les nazis ont détourné le sens des mots et des valeurs afin d’atténuer la violences de leurs actes.

Le livre (125 pages) est pensé non pour être lu d’un seul trait, comme un livre sur le thème de la Shoah, mais pour clarifier des mots (100). Un lexique qui nous offre des informations, des définitions précises du vocabulaire spécifique de l’histoire de la Shoah et de la terminologie utilisée par les nazis. Un appui qui rend compréhensible des concepts et des termes propres à l’histoire de la Shoah. Les auteurs, Tal Bruttmann[4] et Christophe Tarricone[5], ont choisi les 100 mots afin de décrypter l’évènement lui-même, tout en montrant les pièges d’un vocabulaire souvent fixé par les bourreaux pour qualifier leurs politiques.

Le lecteur trouve dans cet ouvrage une analyse de mots qui lui permet de clarifier ses connaissances ou d’acquérir une meilleure maîtrise de ces expressions, dont il est important de connaître le sens, car elles sont souvent employées par inadvertance sans toujours être délimitées par les guillemets.

Le choix des 100 mots de la Shoah offre ainsi un tour d’horizon sur l’organisation des nombreuses et différentes étapes des politiques nazies et des politiques antisémites du Troisième Reich, mais aussi sur les acteurs, sur les lieux et sur les sources ; l’analyse des mots aide à dissiper la confusion commune et à recadrer nos connaissances approximatives de leur origine et de leur signification (voire parfois l'absence de signification): “Solution finale”, “centres de mise à mort[6]

D’emblée, après une introduction synthétique, nous sommes confrontés aux sept expressions qui désignent le rapport du mot avec l’événement qui pour “longtemps n’a pas eu de nom sinon parmi le cercle restreint des victimes; on disait simplement ‘pendant la guerre’, puis il reçut plusieurs noms. ‘Extermination’, ‘Solution finale’ (expressions qui renvoient aux bourreaux), ‘Génocide’ (terme extrêmement compliqué, terme de juriste, codifié), ‘Holocauste’ (désigne le sacrifice animal par le feu), ‘Hurbn’ (la destruction, mot yiddish), ‘Shoah’ (en hébreu ancien signifie ‘anéantissement’), ‘destruction des Juifs d’Europe’ , œuvre capitale de Raul Hilbert" [8] .

Ces sept premiers mots clarifient le sens réel de ces termes et aident à répondre à la première question qui se pose sur le mot à utiliser pour désigner la destruction des populations juives par les nazis. L’absence d’ordre alphabétique de ce début de lecture n’entrave en aucun moment la précision et la cohérence des 93 autres mots.

Son style clair, concis, efficace et son argumentation linéaire permettent l’acquisition de connaissances; la motivation des auteurs étant “d’apporter quelques précisions à leur sujet”. Des notions sont attribuées à certains protagonistes individuels (bourreaux et victimes) et collectifs (organisations, armée, police, administrations de l’État nazi) ce qui nous permet de ne pas perdre de vue l’ensemble de l’organisation pyramidale, hiérarchisée et centralisée des processus et du mécanisme.

C'est par le langage que se transmettent l'horreur, l’hostilité, la haine et les préjugés racistes.

L’emploi systématique “fait d’acronyme et d’euphémisme[9] par les nazis permettait de désigner certains actes, une dissimulation langagière dans laquelle le Troisième Reich espérait ensevelir ses crimes et atténuer la violence de ses actes; ce “lexique participait à la déshumanisation des victimes[10] et à la décision de “faire disparaître le peuple juif de la terre” .

Analyser pour comprendre

L’analyse de certaines expressions souligne la perspective totalement différente des bourreaux et des victimes. Un travail à proposer en classe peut être le choix de l’analyse de deux expressions des 100 de l’ouvrage.

Solution finale” : cette expression nazie est le raccourci de “solution finale de la question juive”. Le mot “solution” sous-entend un problème qui nous situe dans le registre antisémite.

Shoah” : c’est un mot hébreu ancien, qui signifie “catastrophe” et qui rend ainsi la parole aux victimes en puisant dans leur langue originelle, ce n’est pas un terme religieux, mais il s’agit bien d’une “catastrophe” à l’échelle de l’humanité.

Holocauste” : c’est le terme en usage dans les pays anglo-saxons. D’origine hébraïque, il désigne une pratique antique de sacrifice, d’offrande. Ce terme est très critiqué en France parce qu’il sous-entend la soumission et la passivité des victimes des nazis : un sacrifice est un acte consenti ou volontaire, or les Juifs d’Europe assassinés par les nazis n’ont fait aucun choix. Par ailleurs, qu’auraient-ils eu à “expier”? La notion d’un mot tel que Résistance, aide à déconstruire les idées reçues et persistantes concernant le mythe de la “passivité” des Juifs. L’analyse évoque les différents actes de résistance pour nous renvoyer à son tour à l'expression Révolte du ghetto de Varsovie, puis à un mot qui fait partie des amalgames, Ghetto : “si les ghettos constituaient historiquement une ‘tolérance’ à l’égard des Juifs autorisés à résider dans les villes où ils sont relégués dans les quartiers cloîtrés, ils ont une autre finalité pour les nazis[11] .

Qualifier les lieux des crimes

Treblinka comme Auschwitz, Sobibor, Belzec, Majdanek étaient des mots inconnus, devenus des mots clés après 1945 pour tout le monde, des symboles qui se réfèrent au projet génocidaire du Troisième Reich.

“II y avait un signe, un très petit signe, à la gare de Treblinka. Je ne sais pas si c'était à la gare même ou juste avant. Sur la voie où nous attendions, il y avait un panneau, très petit : Treblinka. Je n'avais jamais entendu parler de Treblinka, parce que personne ne connaît, ce n'est pas un lieu, pas une ville, même pas un petit village”[12].
“Nous avons appris notre destination Auschwitz, un nom alors dénué de signification pour nous; mais qui devait bien exister quelque part sur la terre”[13].

Un autre confusion souvent rencontrée est celle entre: camps de concentration (Dachau, Buchenwald, Auschwitz) et camps d’extermination (Birkenau, Belzec, Sobibor).

La parole “camp” mérite une mise au point : l'expression “camp d’extermination”, apparue durant la guerre, a rapidement fait souche. Tout d’abord elle est antinomique : accoler le mot “camp”, lieu où sont regroupées durablement des populations, à celui d’“extermination”, supposant une élimination immédiate, procède d’une contradiction. Tous ces sites ont en commun d’être un lieu vers lequel sont conduites les victimes afin d’y être assassinées: il faut donc souligner l'expression Centre de mise à mort, dont l’analyse se trouve dans l’ouvrage.

Les auteurs proposent des références concernant la production cinématographique ("Shoah"[14] et "la liste de Schindler") : une lecture intéressante sur l’analyse de leur distinction. Dans leur propo-sition quelques œuvres littéraires et graphiques sont présentes, tel que Maus[15] , le récit autobio-graphique d’Art Spiegelman qui n’a rien d’une bande dessinée ordinaire demeure une œuvre accessible considérée, aujourd’hui, comme l’une des œuvres majeures consacrées à la Shoah, ce qui ne fut pas le cas lors de son apparition en 1986 aux Etats-Unis ; le récit dessiné n’était pas perçu comme témoignage.

La représentation de la Shoah dans la bande dessinée peut avoir une utilisation pédagogique pour faciliter la communication avec les élèves.

La parole témoignage figure aussi parmi les 100 mots. Sa définition nous éclaircit sur les nombreux contextes qui ont motivé cette volonté d’écrire. Écrits qui n’ont pas toujours eu le rôle d’alerter, mais de témoigner d’un fait accompli.

Conclusion

Ce lexique montre l'importance de l'étude du vocabulaire et ces 100 mots tentent d’approcher une réalité qu’aucun mot ne peut dire.

Les définitions précises et rigoureuses de Tal Bruttmann et de Christophe Tarricone nous montrent comment certains mots, qui étaient des mots ordinaires, ont perdu leur innocence pour laisser place à des significations sinistres. Ceci souligne l’importance et le poids de l’événement, avec son impact sur la langue.

Cet opus sait se rendre indispensable comme index; certes, il ne prétend pas se substituer à la lecture de la vaste bibliographie sur le thème de la Shoah, mais il nous la rend accessible; alors servons nous de ces nombreuses clés de lecture.

Un "outil" incontournable auquel il faudra venir et revenir.
Un ouvrage comme celui-ci manquait.

NOTE

  • [1] Henry Friedlander, Les origines de la Shoah: De l’euthanasie à la Solution finale, éd. Calmann-Levy, 2015.
  • [2] Tal Bruttmann, Au bureau des affaires juives, l'administration française et l'application de la législation antisémite (1940-1944), éd. La Découverte - Collection L’espace de l’histoire, 2006.
  • [3] Tal Bruttmann, Christophe Tarricone, Les 100 mots de la Shoah, éd. Que sais-je collection PUF, 2016.
  • [4] Historien, spécialiste des politiques antisémites en France durant la Seconde Guerre mondiale.
  • [5] Professeur agrégé d’histoire.
  • [6] Expression forgée par l’historien Raul Hilberg.
  • [7] Interview de Tal Bruttmann par Annette Wieviorka le 24 mai 2016 sur RCJ.
  • [8] Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, éd. Gallimard collection Folio Histoire, 2006. La première édition est parue en 1961.
  • [9] Victor Klemperer, LTI. La langue du IIIème Reich, éd. poche Agora Pocket, 2003.
  • [10] Histoire de la Shoah, Georges Bensoussan, éd. Que sais-je collection PUF, 2010.
  • [11] Tal Bruttmann, Christophe Tarricone, Les 100 mots de la Shoah, éd. Que sais-je collection PUF, 2016, p. 62.
  • [12] Claude Lanzmann, Shoah, extrait du témoignage de Abraham Bomba, survivant de Treblinka, 1958.
  • [13] Primo Levi, Si c’est un homme, éd. Poche, 1988.
  • [14] “Au cours des onze années durant lesquelles j’ai travaillé à sa réalisation, je n’ai pas eu de nom pour le film. Je disais ‘la chose’. C’était une façon de nommer l’innommable”. Extrait de l’interview Ce mot de “Shoah” , Le Monde 25/2/2005.
  • [15] Art Spiegelman, Maus, éd. Flammarion, 1998.

Referenze iconografiche: irisphoto1/Shutterstock 

Claudia Bourdin

est responsable de l’Association Culturelle Recto Verso dédiée à Charlotte Salomon. L’association a pour objectif la divulgation historique en utilisant l’art comme moyen, qui devient ainsi l’outil pour la connaissance des concepts et mécanismes qui ont conduit aux événements dramatiques de l’histoire. Elle a aussi organisé dans le Piémont, en collaboration avec le Mémorial de la Shoah à Paris, plusieurs séminaires destinés principalement aux enseignants. L’association a également conçu et développé des projets dans différentes établissements scolaires.