Les Incontournables: Françoise Giroud
Il ritratto di una donna libera
Françoise Giroud a vécu le destin des immigrés: fille de juifs ottomans installés en France, elle perd très vite son père et commence à travailler à 14 ans dans une librairie. Journaliste pendant la guerre, elle participe à un réseau de Résistance fondé par sa sœur Djenane. Elles sont arrêtées toutes les deux en 1944, mais alors qu'elle est libérée, sa sœur est déportée à Ravensbrück et n'en revient que pour mourir. Puis le succès arrive: elle est nommée directrice de la rédaction de Elle en 1950 et fonde L'Expressen 1953 avec Jean-Jacques Servan-Schreiber. À la suite de la rupture de leur liaison, elle continue l'œuvre commune puis se tourne vers la politique où, après des succès personnels, elle connaît de lourdes déceptions.
Si elle avait pu vivre jusqu’à aujourd’hui, elle aurait 100 ans.
Le portrait d’une femme, Françoise Giroud, qui, à elle seule, représente un pan de l’Histoire de France, embrassant presque tout le XX siècle pour passer le cap du troisième millénaire. Elle nous fait revivre les grands débats qui ont animé la France entre les années 50 et 80 lorsqu’elle a participé au mouvement pour l’indépendance de l’Algérie, à la création de l’hebdomadaire L’Express, en 1953, avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, pour s’engager enfin dans la voie politique. Elle a été en effet Secrétaire d’État à la Condition féminine de 1974 à 1976 et secrétaire d’État à la Culture jusqu’en 1977, avant de consacrer ses dernières années à l’écriture. Une vie à pleines dents.
Une femme de tête qu’on admire pour sa carrière, sa personnalité, ses écrits, ses prises de positions… mais aussi une femme douée d’une volonté d’acier, qui a payé cher sa condition de femme libre.
Journaliste et écrivaine, elle chérissait la clarté et la lucidité alors que sa vie personnelle renfermait des secrets qu’elle ne dévoilait même pas à sa fille. Un personnage tout en clair-obscur, qui recelait de contradictions si fortes qu’elle a dû recourir à une thérapie psychanalytique avec Jacques Lacan. Mais, malgré la renommée du thérapeute, qui s’occupera de sa fille aussi, cette analyse ne donnera pas de grands résultats, si l’on en croit sa fille, devenue à son tour psychanalyste. Femme de plume, directrice de rédaction, éditorialiste de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur pendant vingt ans, Françoise Giroud avait dû pourtant quitter l’école à 14 ans avec un diplôme de dactylo pour chercher un emploi. Porte-drapeau de la liberté et de l’indépendance des femmes, elle a été sauvée de justesse d’une tentative de suicide à la suite d’une déception amoureuse. Elle est le symbole de la femme française de succès comme le démontre le livre de Christine Ockrent, une autre grande journaliste, Françoise Giroud, une ambition française, éditions Fayard, 2003.
Mais la réalité est toujours autre à partir du nom de famille, Gourdji, francisé en Giroud, son nom de bataille lors de la résistance, en 1964. Sur ses origines aussi, Léa France Gourdji garde une grande réserve: née en Suisse, selon certains à Genève, selon d’autres à Lausanne, de parents d’origine juive séfarade, «Israëlites de l’Empire Ottoman», comme ils préféraient se définir, le père, étant originaire de Constantinople où il revient après des études de droit à Paris, tandis que sa mère, fille d’un colonel de l’armée turque, est née en Grèce.
Cette question de la religion dans la famille Giroud sera un tabou, selon les mots mêmes de sa fille «Ma mère et mon père ne m’ont jamais dit qu’ils étaient juifs. J’ai été élevée dans la religion catholique, comme une évidence. Mon père, apatride, m’a dit une fois qu’il était orthodoxe et m’a coupé de sa famille. Ma grand-mère était catholique, convertie, mais je ne le savais pas. Dans mon enfance, j’allais à la messe tous les dimanches, seule! À la maison, les conversations me paraissaient passionnantes, mais il régnait un silence abyssal sur l’histoire familiale. Nous étions français et catholiques, point. Mais je savais que nous venions d’ailleurs».
Côté religion, difficile de classer ce personnage: d’origine juive, catholique par un jeu de circonstances et athée par conviction, Françoise Giroud niera toute sa vie sa judéité car elle aurait fait une promesse à sa mère. Elle ne révèlera son origine à son petit-fils Nicolas, le futur rabbin Aaron Eliacheff, qu'au printemps 1988.
Cette conscience qu’un personnage peut en cacher un autre, la pousse en 1945 à lancer le Prix du Portrait qui, selon ses propres mots, devait permettre au véritable journaliste de «Percer l'homme ou la femme sous les masques de la notoriété». Encore aujourd’hui le prix poursuit son chemin et identifie chaque année les lauréats parvenus à remplir cette tâche difficile.
Au niveau politique aussi, on perçoit cette tendance de Françoise Giroud à emprunter des chemins imprévus. Depuis toujours inscrite au parti socialiste, elle accepte quand même l’invitation du président Giscard d’Estaing, chef de l’UDF, plutôt central dans les paysage politique français, qui l’invite à travailler avec son gouvernement pour améliorer la condition des femmes. Elle sera en effet Secrétaire d’État à la Condition féminine pendant deux ans de 1974 à 1976, avec le vif désir d’améliorer la condition des femmes par «cent mesures» qui devaient «conduire progressivement la moitié des Français au niveau de formation, de rétribution, d'intégration à la vie sociale et économique et de responsabilités où se trouve l'autre». Leur introduction progressive était prévue jusqu’en 1981. L’égalité entre les deux sexes affirmée par la constitution française «la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme», n’était pas vraiment appliquée dans la vie réelle, ce n'est par exemple qu'en 1965 que les femmes mariées obtiennent le droit d'exercer une profession sans l'autorisation de leur conjoint et d'ouvrir un compte bancaire personnel. Pourtant, malgré certaines réussites, Françoise Giroud, n’est jamais véritablement acceptée par les féministes.
Un scandale lié au port illégal d’une enseigne «la médaille de la Résistance», attribuée pourtant à sa sœur Djenane, qui avait créé et animé un des premiers mouvements de la Résistance à Clermont-Ferrand, met fin à sa carrière politique. Ce qui nous fait penser encore à un tour paradoxal du destin, vu que Françoise elle-même, semblerait avoir participé au mouvement de résistance comme agent de liaison, après avoir rejoint sa sœur à Clermont-Ferrand. Elle fut aussi arrêtée par la Gestapo et internée dans la prison de Fresnes de mars à juin 44, mais à la différence de sa sœur, qui fut envoyée au camp de Ravensbrûck, elle fut relâchée. C’est en effet pendant son séjour à Clermont-Ferrand qu’elle fut baptisée avec sa mère pour pouvoir obtenir le droit au travail pendant l’occupation.
Une femme qui a traversé une époque en travaillant aux côtés des hommes les plus réputées, comme André Gide, dont elle fut la secrétaire, pour devenir ensuite la première femme scripte du cinéma français avec Marc Allégret puis avec Jean Renoir. Remarquée par Hélène Lazareff, elle est nommée directrice de rédaction de Elle, le nouveau magazine féminin qui va modifier les comportements des Françaises. Elle a traversé les plus grandes rédactions parisiennes: de L’Express, dont elle a été co-fondatrice, au Nouvel Obs où elle a été appelée par Jean Daniel. Décidemment une femme au cœur de l’actualité et des grands débats, mais soucieuse de garder sa fémininité, comme le témoigne sa fille «Ma mère était la plus belle des mamans. Je me souviens de ses robes de grands couturiers, de son parfum. Comme toutes les petites filles, j’ai essayé ses talons hauts et son rouge à lèvres». N’oublions pas que, pour elle, Jean-Jacques Servan-Schreiber a quitté sa femme, après une période à trois, mais malheureusement l’histoire devait se reproduire à nouveau et, cette fois-là, Françoise Giroud était la femme délaissée, ce qui l’a fait sombrer dans une déprime qui a failli l’emporter. Une femme qui a tout vécu sur sa peau, menant de front une vie active, hantée pourtant par l’horreur de la défaillance de l’âge. Elle avait en effet donné toutes les indications pour éviter de rester victime de la pitié, comme le rappelle sa fille «Elle avait conscience qu’elle allait mourir et la vieillesse lui répugnait. Elle ne voulait pas de cette dégradation. J’avais des instructions précises sur ce point. Ma mère a eu l’élégance de m’épargner d’avoir à prendre des décisions douloureuses. Elle est restée la même jusqu’au bout, menant de front travail et vie sociale».
Parmi les nombreuses publications on signale tout particulièrement, pour l’intérêt porté au panorama politique, La Comédie du Pouvoir, Fayard, 1977 et Le Bon Plaisir, éditions Mazarine, 1983, qui raconte l’histoire d’un enfant caché d’un président français et cela avant que l’existence de Mazarine, fille du Président Mitterrand ne soit révélée officiellement. Un film du même titre réalisé par Francis Girod, sera diffusé en 1984 en remportant un vif succès. Françoise Giroud a toujours indiqué que cette intrigue se rapportait à un autre homme politique, un ministre, dont elle n’a jamais révélé l’identité. Bien sûr la liste de ses publications ne s’arrête pas là. À part le côté société, elle s’est intéressée aussi aux portraits des grandes femmes du passé surtout dans le domaine artistique: la sirène viennoise, Alma Mahler, qui exerce sur les hommes l'empire qu'elle n'a pu exercer sur son art, Alma Mahler, ou l'art d'être aimée , Robert Laffont, 1988; Cosima, fille de Franz Liszt et épouse de Richard Wagner, Cosima la sublime, Plon-Fayard, 1996.
Lou Andreas Salomé, qui a traversé durablement le chemin de trois hommes devenus illustres (Nietzsche, Rainer Maria Rilke et Sigmund Freud), Lou, histoire d'une femme libre , Fayard, 2002; ou encore la femme de Karl Marx, l’aristocrate prussienne, Jenny von Westphalen, Jenny Marx ou la Femme du diable , Robert Laffont, 1992; ou enfin le destin unique d’une scientifique, prix Nobel, Marie Curie, Une femme honorable, Fayard, 1981.
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