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L’image de la femme dans l’œuvre d’Émile Zola

Scritto da Cecilia Cohen Hemsi Nizza | ott 24, 2022

Depuis Stendhal, Balzac et Flaubert, le roman français, abandonnant l’idéalisme romantique, s’était penché vers l’étude de la société contemporaine dans tous ses aspects. Mais Zola (1840-1902), sous l’influence des théories scientifiques, philosophiques, culturelles alors dominantes, va au-delà de la simple observation, élaborant la théorie du roman expérimental qu’il expose dans ces termes : « En revenant au roman, nous voyons également que le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur. L’observateur chez lui donne les faits tels qu’il les a observés […]. Puis l’expérimentateur paraît et institue l’expérience, je veux dire fait mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l’exige le déterminisme des phénomènes mis à l’étude. 1»

Le projet de Zola des Rougon-Macquart 2 est de vérifier, à travers l’histoire de quatre générations d’une seule famille, l’influence des « milieux » sur les personnages, mais aussi les effets destructeurs de l’hérédité. « Physiologiquement ils [les Rougon-Macquart] sont la lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclenchent dans une race, à la suite d’une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices. 3»

Dans toute son œuvre, notamment dans les Rougon Macquart, Zola consacre d’importantes pages à la femme, reprenant les thèmes déjà présents dans les romans de Stendhal, Balzac, Flaubert et les Frères Goncourt. Certes, la représentation qu’il en donne fait scandale, lui attirant d’énormes critiques, entre autres d’être un misogyne. Mais en réalité c’est l’écrivain naturaliste qui reproduit la société patriarcale française, dominante sous le Second Empire, et qu’il veut, en républicain convaincu, cibler. Tout en précisant : « Je ne suis certes pas hostile au mouvement féministe, à l’émancipation de la femme, mais n’exagérons rien. 4»

Zola lui reconnaît un rôle dans la société : « Être la collaboratrice de l’homme, dans l’œuvre commune, la compagne fidèle, l’appui certain, l’égale conciliante et dévouée. Il faut donc, avant tout, libérer la femme, libérer son intelligence. […] Que la femme au foyer ne soit pas seulement une ménagère et une machine à reproduction, qu’elle soit une âme qui comprenne l’âme de son époux, une pensée qui communie avec la pensée de l’homme choisi et aimé. 5»

C’est pourquoi il pose l’accent sur l’éducation des filles, sur la nécessité de les soustraire à l’influence du clergé, mettant au premier plan les questions sociales qui les regardent, comme leur exploitation, le bas salaire, le divorce.

En analysant ses personnages féminins tout au long de son œuvre littéraire 6, on trouve des exemples de la manière dont une bonne ou une mauvaise éducation détermine les actions, et donc le destin d’une femme. Zola montre comment cette influence s’exerce à la fois sur les femmes bourgeoises et sur les femmes du peuple : « Si dans le peuple, […] le milieu et l’éducation jettent les filles dans la prostitution, le milieu et l’éducation, dans la bourgeoisie, les jettent dans l’adultère. 7»

Mais ce sont aussi les femmes, surtout les mères, qui défendent cette inégalité. Voilà comment Madame Vuillaume 8 énonce son plan éducatif à sa fille, Marie et à son futur gendre, Jules Pichon : «L’honnêteté d’abord. Pas de jeux dans l’escalier, la petite toujours chez elle, et gardée de près, car les gamines ne pensent qu’au mal. Les portes fermées, les fenêtres closes, jamais de courants d’air, qui apportent les vilaines choses de la rue».

Quelques portraits féminins

Écrit en 1867, le roman Thérèse Raquin, sans en faire partie, annonce déjà les thèmes de son œuvre à venir. Mariée à Camille, un être frêle et maladif, elle s’éprend de Laurent, un homme violent mais qui suscite en elle une passion ardente. Les deux décident de tuer son mari, mais les remords les plongent dans des crises de nerfs et une angoisse insupportables. Ils finiront par se suicider.
Thérèse incarne le prototype de l’anti-héroïne, mais Zola en fait une névrosée, influencée par les pathologies du système nerveux, découvertes par la médecine de l'époque.

Dès le premier roman du cycle, La Fortune des Rougon 9 paraissent les personnages principaux, dont Félicité, la fille d’un marchand d’huile en détresse que Pierre Rougon épouse et qui est, comme lui, prête à tout pour s’élever au sommet de la petite bourgeoise. Intelligente, manipulatrice, c’est grâce à elle que son mari construira sa carrière politique, après le coup d’État. On pourrait dire que ce n’est pas tellement lui qui la choisit mais que c’est elle qui le fait pour atteindre son but.
Cette absence de moralité 10 est la conséquence de son impuissance dans une société sexiste.

Fille d’Antoine et de Joséphine Macquart, Gervaise 11 est le personnage que l’on retrouve dans les romans les plus connus du cycle12. Boiteuse de naissance, à cause des violences qu’a subies sa mère pendant la grossesse, très tôt elle se donne à l’alcoolisme. Abandonnée par son amant Lantier, elle épouse Coupeau, dont elle a une fille, Anna, dite Nana. Malgré tout, en travaillant dur, elle réussit à conquérir une certaine aisance, mais très vite le couple retourne à la misère. Elle retrouve Lantier, qui la réduit à un état de misère et d’humiliation. Elle meurt peu après Coupeau.

Gervaise rêve d’une autre vie : « Mon Dieu ! Je ne suis pas ambitieuse, je ne demande pas grande chose... Mon idéal, ce serait de travailler tranquille, de manger toujours du pain, d’avoir un trou un peu propre pour dormir, vous savez, un lit, une table et deux chaises, pas davantage... Ah ! je voudrais aussi élever mes enfants, en faire de bons sujets, si c’était possible... Il y a encore un idéal, ce serait de ne pas être battue, si je me remettais jamais en ménage ; non, ça ne me plairait pas d’être battue... Et c’est tout, vous voyez, c’est tout... »

Nana 13 représente la dégradation qui résulte de la mauvaise éducation des filles issues des milieux populaires. Très tôt elle est initiée à la débauche, à l’alcoolisme, à la violence. Grâce à sa beauté elle séduit facilement les hommes, les conduisant au désespoir et à la déchéance. Mais comme la plupart des femmes du cycle, elle mourra misérablement, encore jeune.

Conclusion

Héroïne déchue, la femme zolienne est quand même pourvue d’une volonté, mais, se heurtant contre la mentalité rétrograde du temps, elle ne peut qu’être conditionnée par elle. C’est seulement avec le début du processus de l’émancipation féminine, vers la fin du XIX e siècle, que cette volonté commence à s’affranchir. Et Zola, bien avant, avait affirmé : « Émanciper la femme, c’est excellent ; mais il faudrait avant tout lui enseigner l’usage de la liberté 14