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Les Incontournables: Léopold Sédar Senghor

Scritto da Manuela Vico | feb 19, 2024

Léopold Sédar Senghor est un personnage «incontournable» pour deux raisons principales: la première est qu’il a été le poète qui a permis à l’Occident d’avoir accès à l’imaginaire poétique africain en associant rythmes et sonorités tribales aux règles de la versification française; deuxièmement, mais non secondairement, il a été parmi les fondateurs de la Négritude et en même temps, on peut aisément l’affirmer, parmi les promoteurs de la francophonie dont on célèbre le 20 mars la journée mondiale!

Ce n’est pas pour rien que sa maison natale au Sénégal, "Les dents de mer", comme il aimait l’appeler, pour son style architectural qui rappelle les constructions de Tombouctou, a été inauguré comme musée à la mémoire du poète le 30 novembre 2014 lors du XVème sommet de la Francophonie.On ne mettra ici en évidence que quelques aspects de sa vie et de sa pensée, signalant plutôt des évènements charnières qui permettent de mieux suivre son évolution en tant que poète et homme de culture. Une analyse exhaustive de sa bio ainsi que de ses œuvres ne pourrait pas tenir dans le cadre obligatoirement restreint des «Incontournables».

La vie de Senghor a été orientée par les hasards, aussi bien sûr par l’intuition, l’intelligence et surtout une volonté d’acier qui lui a permis malgré les échecs et les obstacles, d’arriver à modeler sa vie selon ses talents. Senghor a vécu un tournant capital pour son avenir lorsque, animé par un fort penchant mystique, il voulut se consacrer à la prêtrise en commençant à fréquenter le séminaire François Libermann à Dakar. Mais là, il se heurta à une forte opposition du supérieur du séminaire, le père Lalouse, qui niait toute valeur à la culture négro-africaine en contraste avec les vues de Senghor qui en fut affecté. Ce contraste l’amena à réfléchir sur sa vocation et l’amena à changer l’orientation de sa vie. Il quitta donc le séminaire et continua ses études auprès d’un établissement secondaire public et laïque de la rue Vincens, fondé par des Européens pour assurer l’éducation de leurs enfants et ne comptait qu’une quinzaine d’Africains sur plus d’une centaine d’élèves. Après le bac, qu’il obtient avec mention grâce à sa passion pour la littérature et le latin, encouragé par le directeur du lycée et ses professeurs, Senghor décide de poursuivre ses études en France, grâce à l’obtention d’une demi-bourse de l'administration coloniale, et quitte ainsi pour la première fois le Sénégal à l'âge de 22 ans.

«Bonjour les dégâts», cette formule s’applique parfaitement à la vie de Senghor, qui sans ce contraste violent avec son supérieur serait peut-être devenu un excellent prêtre, mais la littérature mondiale aurait été privée de sa voix.

Mais il est impossible de comprendre sa poésie et ses choix sans se pencher sur l’enfance de cet homme extraordinaire qui, déjà à sa naissance, porte la marque de deux cultures, africaine et européenne: son nom, Sédar, en wolof signifie «fier», «celui qu’on ne peut pas humilier» tandis que Léopold fait allusion à l’univers européen.

Né en 1906 au sein d’une famille aisée, son père, Basile Diogoye Senghor, est un riche commerçant catholique appartenant à l'aristocratie sérère du Sénégal, qui aura cinq épouses et vingt-cinq enfants au moins. Sa mère, par contre, Gnilane Ndiémé Bakhoum, que Senghor appelle dans les Élégies «Nyilane la douce», bien qu’elle appartienne à une lignée de la même ethnie, a des origines peules. C’est là le début du parcours multiple de cette âme assoiffée de connaissance mais aussi de mysticisme et de magie. Selon la tradition locale, il passe les premières années de son enfance avec sa mère, qui continuera d’habiter avec ses six enfants, dans son village natal, à Djilor, où il savoure le bonheur d’une vie paisible, entouré d’attentions sous l’influence de son oncle maternel, Tokô’ Waly, qui lui ouvrira la voie vers une profonde religiosité animiste qui marquera toujours sa poésie.

Vers l’âge de sept ans il rejoint le domaine paternel qui, foncièrement catholique, orientera sa future formation. Il fréquente d’abord la mission catholique de Joal, sa ville natale, puis entame sa scolarité à Ngazobil, à six kilomètres au nord de Joal, chez les Pères Spiritains pendant six ans. Là encore, il sera le bien aimé de tous et vivra des moments de profond bonheur. Puis, suivant son penchant mystique, attiré par la prêtrise, il fréquente un temps le séminaire Libermann à Dakar, se ravisant par la suite, comme on l’a vu plus haut et, après avoir terminé brillamment ses études, il part pour Paris.

Mais Paris sera tout d’abord une déception pour le jeune homme africain, pour lequel la ville idéale aurait dû être éclatante sous un plein soleil. On peut imaginer sa réaction à la vue de la capitale grise, humide, étouffée par le brouillard, lors d’un automne triste lorsqu’il débarque dans la capitale. C’est un brusque contact avec la réalité qu’il partagera avec un autre fils du soleil, Albert Camus, qui, lui aussi, chante le sud et affirme qu’être déshérité à Paris est infiniment pire que de l’être à Alger, sous la chaleur du soleil ami. Non seulement le climat, mais aussi l’environnement urbain aussi lui pèse, un jour, en se promenant dans la ville, il tomba sur l’affiche publicitaire de la marque de cacao Banania qui montrait un tirailleur sénégalais lippu, hilare, coiffé d’une chéchia, déclarant: «Y a bon Banania!». Rentré chez lui, il écrivit un texte rageur: «Je déchirerai tous les rires Banania sur tous les murs de France». Cette publicité n’a été abandonnée par la société Nitrimaine qu’en 2006.

Commencent ainsi pour Senghor les années d’apprentissage qu’il qualifiera de «ses seize années d’errance», mais aussi de tentatives variées de passer différents concours d‘état. D’abord, il est attiré par le prestige de la Sorbonne, mais bientôt découragé, il quitte la Sorbonne, et se replie vers le lycée Louis-Le-Grand où il se prépare pour entrer à l’École Normale Supérieure. Un nouvel échec. En 1931, il s’inscrit à la Sorbonne, et il y obtient une licence ès-lettres. Ensuite, il décide de préparer pour l’agrégation de grammaire pour laquelle il doit acquérir la nationalité française. Bien qu’il échoue une première fois, il devient agrégé en 1935. Il entame alors une carrière de professeur au lycée Descartes de Tour puis dans la région parisienne. En dehors de sa profession d’enseignant il se consacre aux études de linguistique négro-africaine et côtoie les milieux culturels de la capitale. Il est intime de Georges Pompidou «Pourquoi ne pas le dire? L'influence de Georges Pompidou sur moi a été, ici, prépondérante. C'est lui qui m'a converti au socialisme» (Liberté 1) et se lie d’amitié avec le martiniquais Aimé Césaire avec qui il fonde en 1934 le journal L'étudiant noir, ouvert à tous les étudiants noirs, africains et antillais. Tandis qu’Aimé Césaire dénonçait l’assimilation culturelle, Senghor proposait par contre un retour aux sources africaines créant un concept original de Négritude:

Mais la guerre éclate et Senghor, bien que naturalisé français, est enrôlé comme simple fantassin dans un régiment d’infanterie coloniale. Fait prisonnier par les Allemands, en 1940 à La Charité-sur-Loire, il faillit être exécuté avec d’autres tirailleurs sénégalais pour la couleur de leur peau. Il ne devra sa survie qu’à l’intuition d’un officier français qui fait comprendre à l’ennemi qu’un massacre raciste serait nuisible à l’honneur de l’armée allemande. Au passage, on signale que 44.000 Africains avaient été enrôlés plus ou moins volontairement, et pour dénoncer les souffrances de ce peuple noir négligé, il découvrira sa veine poétique devenant le chantre de la Négritude. Selon le chercheur allemand Raffael Scheck, qui a découvert en 2010 aux Archives Nationales à Paris, un document original attribué à Senghor, un journal personnel de la situation de dénouement des prisonniers sénégalais, c’est la captivité et l’injustice contre ses semblables qui ont fait déclencher chez lui la poésie comme seul moyen d’élever la voix contre le mal! N’oublions pas que l’épisode semblable au séminaire de Dakar avait changé sa vie! Senghor ne peut pas rester muet face au mal!

Selon Raffael Scheck, «jusqu'à la guerre, Senghor est un poète qui se cherche. Il tâtonne dans l'obscurité, tourne en rond, déprime tandis que son ami Aimé Césaire a déjà écrit son Cahier d'un retour au pays natal (1938). Pour lui, la lumière viendra de l'expérience des camps. L'intellectuel y côtoie et défend contre l'arbitraire ses voisins muets, infériorisés. Il tire de leur sacrifice un magnifique recueil, Hosties noires, écrit pendant la guerre».

Il rêve:
«Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple, mais d'être son rythme et son cœur
Non de paître les terres, mais comme le grain de millet de pourrir dans la terre
Non d'être la tête du peuple, mais bien sa bouche et sa trompette
».

L’expérience du camp reste dans sa peau et dans sa poésie même s’il est libéré deux ans plus tard, en 1942, pour cause de maladie. Mais libre, il ne baisse pas les bras, reprend l’enseignement et s’engage dans la résistance. Une fois la guerre finie, la vie reprend son cours et Senghor, toujours plus engagé, réussit à se faire élire à deux reprises député à l’Assemblée Nationale en 1946, puis en 1951. Une fois les deux mandats terminés, il retourne au Sénégal et devient maire de la ville de Thies. En 1960, il devient le premier président du Sénégal, charge qu’il gardera jusqu’en 1980 quand il démissionnera avant le terme du mandat confiant à son successeur, Abdou Diouf, la présidence du Pays. En 1983, il entre à l’Académie française, devenant ainsi le premier auteur africain à recevoir cet honneur. Ses dernières années, il les passe à Verson, une petite commune près de Caen en Normandie, région originaire de sa deuxième femme Colette. Sa disparition, à l’âge de 95 ans, remonte à l’année 2001 et fit dire au président français Jacques Chirac: «La poésie vient de perdre un maître, le Sénégal un homme d'État, l'Afrique un visionnaire et la France un ami».

Pour donner le goût d’aller plus loin on propose ci de suite deux parmi les poèmes les plus significatifs de Senghor: Femme noire, exaltation de l’idéal féminin africain et Jardin de France, où l’on trouve dans le même poème associés ou mieux encore opposés, thèmes, versification et rythme poétique français aux images, sonorités et rythmes africains.

Referenze iconografiche: Photo © AGIP / Bridgeman Images, robertharding /Alamy Stock Photo